Se protéger de la discrimination au travail

Par Adrien KrasLe 6 décembre 2016

Selon les résultats d’une récente enquête du Défenseur des droits, moins de 10% des victimes d’une discrimination à l’embauche mettent en œuvre des démarches pour faire valoir leurs droits (Résultats de l’appel à témoignage « Accès à l’emploi et discrimination liées aux origines » publié le 19 septembre 2016).

La sensibilisation du public sur la protection contre la discrimination au travail s’avère donc nécessaire.

D’autant plus que ce phénomène ne se limite pas au seul recrutement, mais est également susceptible de se manifester au cours de la relation de travail…

Qu’est-ce que la discrimination au travail ?

Le principe de non-discrimination interdit à l’employeur de prendre une décision en considération de certaines caractéristiques attachées à la personne. La loi dresse la liste de ces motifs discriminatoires : religion, préférences sexuelles, engagement syndical, apparence physique… (article L1132-1 du code du travail) .L’exercice du droit de grève fait également l’objet d’une protection spécifique, tout comme le fait de rendre compte ou de témoigner de harcèlement moral ou de la commission d’une infraction (articles L1132-2, L1132-3 et L1132-3-3 du code du travail).

On distingue deux types de discrimination : directe et indirecte (article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008).

Il y a discrimination directe lorsqu’un individu fait l’objet d’un traitement moins avantageux qu’une autre placée dans une situation similaire. Il peut s’agir du rejet d’une candidature, d’une inégalité de rémunération… Constitue, par exemple, une discrimination en raison de l’origine le fait de demander à un salarié prénommé Mohammed de se faire appeler Laurent (Cass. Soc. 10 novembre 2009 n°08-42.286). La discrimination indirecte vise une pratique apparemment neutre, mais susceptible de défavoriser une personne par rapport à une autre pour un motif prohibé, sauf moyen nécessaire à la réalisation d’un but légitime.

Ainsi, l’exclusion de certains emplois du bénéfice d’un régime de retraite complémentaire est discriminatoire dès lors que ces postes sont en grande majorité occupés par des femmes.   

Pour autant, il existe des différences de traitement autorisées. C’est le cas lorsqu’il s’agit d’un impératif professionnel absolu. Le recrutement d’un mannequin, par exemple, sera logiquement basé sur l’apparence physique du candidat. Il est également possible de pratiquer la « discrimination positive » à l’égard des seniors, handicapés ou en tenant compte du lieu de résidence du candidat à un emploi (zone franche urbaine, quartier prioritaire…).   

La discrimination au travail constitue également un délit.

Réagir au sein de l’entreprise face aux discriminations

Il est bien entendu possible d’aborder directement le sujet avec l’employeur. Toutefois, la confrontation directe avec sa direction sur un sujet aussi sensible n’est pas toujours très indiquée. Il est dès lors conseillé au salarié de se rapprocher des délégués du personnel afin qu’une procédure d’alerte puisse être engagée. Le délégué informe l’employeur de la discrimination alléguée. Celui-ci est alors tenu de prendre les mesures adéquates pour remédier au problème et de procéder immédiatement à une enquête menée de concert avec le délégué. En cas d’inaction de l’employeur ou de désaccord avec le délégué, le salarié a la possibilité de saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée des référés. Le délégué peut prendre lui-même cette initiative, à condition d’en avertir le salarié et en l’absence d’opposition de ce dernier (article L2313-2 du code du travail).   

Le recours aux délégués du personnel n’est cependant pas une obligation. Il reste bien entendu possible de s’adresser à des interlocuteurs extérieurs à l’entreprise.

Comment réagir en dehors de l’entreprise ?

La victime de discrimination au travail bénéficie du renfort d’un certain nombre d’acteurs institutionnels.

1/ L’inspection du travail

L’inspecteur du travail a pour mission de veiller à l’application du droit du travail et de constater les infractions commises, notamment le délit pénal de discrimination (articles L8112-1 et L8112-2 du code du travail). Il peut être saisi directement par l’intéressé ou par un délégué du personnel. S’il constate l’existence d’une discrimination, l’inspecteur du travail pourra adresser un courrier à l’employeur afin de l’enjoindre à y mettre fin. Il peut également choisir de dresser directement un procès-verbal d’infraction qui sera transmis au parquet aux fins de poursuites pénales (article L8113-7 du code du travail)

2/ Les associations de lutte contre les discriminations

De nombreuses associations sont engagées dans la lutte contre les discriminations. Il s’agit le plus souvent de structures ayant pour objet la protection des intérêts de certaines catégories de personnes (handicapés, homosexuels…)

La victime de discrimination au travail y bénéficiera d’une écoute attentive et des différents services proposés : permanence juridique, assistance…

Les associations de lutte contre le racisme et les discriminations en raison de l’origine ou de la confession religieuse peuvent en outre se constituer partie civile dans le cadre d’une procédure pénale. Cette action, réservée aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, est subordonnée à l’accord de la victime (article 2-1 du code de procédure pénale).

3/ Le Défenseur des droits

La victime de discrimination au travail peut saisir gratuitement le Défenseur des droits, une autorité constitutionnelle indépendante. Cette saisine peut être réalisée par courrier précisément motivé (Défenseur des droits, TSA 90716 75334 Paris CEDEX 07) ou en remplissant un formulaire de saisine en ligne (http://www.defenseurdesdroits.fr)

Cette faculté est également reconnue aux associations (dans les conditions susvisées) et aux ayants droit de l’intéressé.

En cas de saisine par un tiers, la victime en est informée et pourra à tout moment mettre fin à l’intervention du Défenseur. Ce denier devra par ailleurs s’abstenir de toute diligence dans un délai de 15 jours à compter de cette information. Le Défenseur des droits se prononce sur l’opportunité d’une intervention et, le cas échéant, aide la victime à construire un dossier et l’oriente vers les procédures adéquates.

S’il constate la commission du délit pénal de discrimination, le Défenseur peut en dresser le procès-verbal, proposer à l’employeur une amende transactionnelle ou alerter le parquet. Il peut également intervenir comme médiateur pour aboutir à la résolution amiable du litige.

Le Défenseur des droits dispose de pouvoirs d’enquête étendus : audition, demande de justification, accès aux documents et visite à l’entreprise ou déplacement en tout lieu utile. S’il se heurte à un refus, il peut saisir le juge des référés afin que celui-ci les ordonne. Il peut également être auditionné ou présenter des observations devant toute juridiction saisie d’un litige relatif à des faits de discrimination. Cette intervention a lieu soit de sa propre initiative, soit sur demande du juge ou des parties (Loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits).

Faire appel au Défenseur des droits

Pour plus d’information sur le Défenseur des droits, vous pouvez appeler un service d’accueil téléphonique (08 1000 5000) ou prendre contact avec un délégué du Défenseur proche de votre domicile.

4/ Les syndicats

Les syndicats représentatifs au niveau national ou au sein de l’entreprise peuvent exercer toute action en justice, civile ou pénale, contre la discrimination exercée contre un salarié ou un candidat. L’accord de la victime n’est pas nécessaire, mais celle-ci doit avoir été informée par le syndicat de son intervention et ne pas s’y être opposée dans un délai de 15 jours. Elle pourra bien entendu intervenir dans cette procédure (article L1134-2 du code du travail).

Agir en justice contre la discrimination au travail

Le conseil de prud’hommes a compétence pour annuler les mesures discriminatoires (article L1132-4 du code du travail). La victime pourra également solliciter l’indemnisation du préjudice subi pendant toute la durée de la discrimination (par exemple, les rappels de rémunération résultant d’une discrimination salariale).  Cette action civile doit être engagée dans les 5 ans suivant la découverte de la discrimination. La preuve de la discrimination au travail devant la juridiction prud’homale répond à un régime particulier. La victime doit simplement apporter des éléments factuels permettant de supposer l’existence d’une discrimination. L’entreprise devra, en réponse, prouver de façon certaine l’absence de discrimination.

Ainsi, le fait d’être la seule personne d’origine étrangère et la seule à ne pas être classé cadre parmi les salariés exerçant la même fonction laissent supposer qu’il s’agit d’une discrimination (Cass. Soc. 25 septembre 2013 n°12-16.790).

La discrimination au travail constituant un délit, il est également possible d’engager des poursuites pénales à l’encontre de l’employeur dans les 3 ans suivant la commission des faits. Ces plaintes font souvent l’objet d’un classement sans suite. Le parquet a en effet tendance à y voir une tentative d’instrumentalisation de la procédure pénale.

En tout état de cause, le simple fait d’avoir déposé plainte peut être perçu comme un gage de bonne foi devant le conseil de prud’hommes.

Auteur de l'article: Adrien Kras

Titulaire d’un Master 2 en Droit et du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat, Adrien KRAS a prêté sa collaboration au sein de divers cabinets au service d’une clientèle de particuliers et d’entreprises de toutes tailles. Spécialisé en droit social, il exerce actuellement en qualité de juriste conseil au sein d’une organisation professionnelle.