Condition d’ancienneté du comité d’entreprise

Par Fabrice AllegoetLe 4 décembre 2016

Cet article s’inscrit dans la continuité de celui que nous avions consacré à propos de la question « qui a droit aux ASC du CE ? ». Dans cet article dédié principalement aux règles fondamentales du CE en matière d’activités sociales et culturelles, nous achevions notre exposé par une autre interrogation à laquelle, nous allons ici, tâcher de répondre.

En effet, à la question : « est-il légal d’imposer une condition d’ancienneté du comité d’entreprise pour exclure des salariés du bénéfice de tout ou partie des activités sociales ? », il est difficile pour ne pas dire impossible de simplement répondre par la positive ou la négative.

Cette demande, disons-le également, anime un nombre important d’élus, de salariés, de consultants… Le regard que peuvent porter à ce sujet certains experts comme l’avocat du comité d’entreprise, l’expert-comptable du CE ou les formateurs agréés, ne concordent pas toujours tant il n’existe aucune réponse évidente. L’URSSAF, le Défenseur des droits ou le Législateur ne sont pas en reste.

Nous allons tenter de vous éclairer sur les bonnes pratiques à propos de la condition d’ancienneté du comité d’entreprise.

Principes de la condition d’ancienneté du comité d’entreprise

Dans la pratique courante, les comités d’entreprise réservent de nombreuses activités et notamment les chèques cadeaux de Noël, aux salariés qui justifieraient par exemple, de 6 mois d’ancienneté (hors période d’essai) à la date de l’activité. Aussi, si le salarié est présent depuis moins de 6 mois, il ne peut pas selon cette condition posée, bénéficier de l’activité. Il s’en trouve mécaniquement exclu.

Voilà en somme ce qui constitue la règle de principe définissant ce qu’on nomme couramment la condition d’ancienneté du comité d’entreprise.

Comme nous l’avions déjà évoqué dans un précédent article, appliquer sans réserve une telle condition d’ancienneté implique de facto une exclusion automatique de certains salariés de par la nature même de leur contrat de travail. C’est le cas par exemple, des CDD de moins de 6 mois, des stagiaires dont les durées de stage varient en général entre 2 et 6 mois, des CDI ou des autres contrats impliquant des périodes d’essai de 3 à 6 mois la plupart du temps. De notre point de vue, cette règle engendre nécessairement une différence de traitement tenant au contrat et à la durée du temps de travail.

Ainsi, étant donné qu’un salarié pour bénéficier d’une activité sociale devra obligatoirement attendre de justifier d’au moins 6 mois d’ancienneté et de ne plus être en période d’essai, cela constitue sans le moindre doute, une discrimination.

Mais voilà, les choses ne sont pas aussi simples !

Que dit la loi au sujet de la condition d’ancienneté du comité d’entreprise ?

Rien de précis en réalité lorsqu’il est question de la condition d’ancienneté du comité d’entreprise. Il existe bien des règles tenant aux principes de non-discrimination (article 225-1 du code pénal), ainsi qu’aux obligations liées à l’égalité de traitement qui s’impose à l’endroit de tous les salariés de l’entreprise (article L1132-1 du code du travail). Pourtant, aucune d’elles ne traite à proprement parler de la nécessité de justifier d’une ancienneté certaine afin d’être légalement considéré comme un ayant droit des activités sociales et culturelles du comité d’entreprise.

Avis d'Expert

La règle voudrait qu’un salarié ou qu’un stagiaire puisse bénéficier sans réserve des activités sociales. Celles-ci peuvent être en revanche conditionnées à d’autres règles d’éligibilité pour peu qu’elles ne concourent à aucune discrimination. Il semble néanmoins que ce point de vue ne soit pas partagé par tout le monde.

Position défendue par M. Hervé Pellois auprès du Ministre du travail

Le 06 mai 2014, M. Hervé Pellois s’interrogeait sur ces pratiques visant à distinguer les salariés selon leur ancienneté et leur présence effective au sein de l’entreprise (QST-AN-14-43931QE). Il avait pris pour exemple des cas précis afin de conduire le Ministre du Travail à prendre une position claire sur le sujet. À cette époque, il précisait que l’URSSAF considérait les critères tenant à l’ancienneté comme constituant une véritable discrimination. À la lecture de la requête, il apparait que la condition d’ancienneté du comité d’entreprise semble poser une limite quant à la matérialité possible de raisons objectives et pertinentes fondant cette règle de principe souvent brandie comme un rempart à l’accès aux activités sociales du CE.

Position de l’URSSAF depuis 2014

Dans une note récente du 12 juillet 2016, l’URSSAF adopte, semble-t-il, une position qui diffère quelque peu sans pour autant faire « loi » et surtout en ne répondant pas sincèrement à la question posée. Ainsi, dans cette note, il est opposé deux règles qui selon nous, sont contradictoires. L’URSSAF prévient d’une part, que le CE ne peut pas tenir compte ni de la durée contractuelle du salarié ni du nombre de jours travaillés sur l’année pour fixer ses règles. D’autre part, l’URSSAF souligne que selon elle, la condition d’ancienneté ne constituerait pas une mesure discriminatoire. Pourtant, permettre l’accès à une activité sociale en le conditionnant à une règle imposant une condition d’ancienneté du comité d’entreprise implique bien une distinction de traitement tenant à la durée effective de travail durant l’année.

Position d’un Avocat en droit social

Nous avons interrogé Maître Pierre VIGNAL en novembre 2016, un avocat spécialisé en droit social et habitué des questions se rapportant aux rôles et missions du comité d’entreprise, pour connaître son point de vue. Sa réponse repose essentiellement sur la notion « d’égalité de traitement » qui s’impose en particulier aux entreprises. Ainsi, à sa connaissance, en dehors d’anciens et obscurs arrêts de la Cour de cassation rendus en matière de prévoyance (Cass. Soc. 18 juin 1981, n° 80-12.998), aucune décision n’a étendu le principe général d’égalité de traitement aux activités sociales et culturelles. À propos de la requête de M. Hervé Pellois, il précise que cette analyse est contestable et qu’à défaut d’autre indication en ce sens, seules les dispositions légales relatives à la discrimination devraient être considérées comme applicables aux activités sociales et culturelles.

Maître Pierre VIGNAL précise de facto, que ce critère semble pouvoir être retenu pour conditionner le bénéfice des activités sociales, fondant notamment son analyse à la lumière d’un arrêt récent (CA Rennes, 9 septembre 2015, n° 14/07142).

Position d’un expert-comptable spécialisé auprès des CE

Hervé APARD de CE EXPERTISES, expert-comptable auprès des CE, répond à cette question que tout le monde botte en touche en attendant la circulaire de modernisation de l’ACOSS, et les redressements dépendent des contrôleurs. Il précise que ces derniers désespèrent de disposer de règles claires les conduisant alors à durcir leurs contrôles pour obliger le pouvoir à prendre position.

Hervé APARD préconise en attendant quelques conseils avisés.

Il considère qu’appliquer une condition d’ancienneté du comité d’entreprise de 6 mois est discriminatoire. De ce fait, si une telle condition trouvait à s’appliquer, il indique qu’il serait sage de la ramener à 3 mois maximum. Il prend comme référence pour fixer cette durée, la condition d’ancienneté applicable aux accords de participation (article L3342-1 du code du travail) exception faite de la billetterie et des activités sociales n’impliquant pas une subvention du CE. Sur ce point, Hervé APARD est très clair : tout le monde doit y avoir droit ! Dès lors qu’il s’agit de bons de Noël ou de chèques vacances, l’expert-comptable table davantage sur une règle de modulation. Ainsi, le CE octroie 100% de la subvention prévue si le salarié justifie d’une présence toute l’année. Dans le cas contraire, l’effort de subvention sera dégressif en fonction de la présence effective à la date de distribution du bon.

Conseil et condition d’ancienneté du comité d’entreprise

Vous l’avez compris, rien n’est évident et limpide lorsqu’il s’agit de répondre formellement à cette question. En réalité, elle ne devrait selon nous pas se poser en ces termes. En effet, les comités d’entreprise ne devraient pas exclure du bénéfice de toutes leurs activités sociales des salariés en raison de leur faible ancienneté.

Position de l'auteur

C’est un message négatif envoyé aux salariés qui ne peuvent que se sentir exclus, frustrés. En revanche, personne ne dit qu’il faut toujours donner la « même chose » à tout le monde dès lors que la distinction ne se fait pas à la lumière d’un critère discriminatoire.

Aussi, moduler ou proportionner l’effort de subvention en fonction de l’ancienneté nous apparait plus juste et plus équitable. Il ne semble pas choquant qu’un salarié présent depuis 8 mois se voit attribuer un chèque cadeau de 30 € contre un chèque de 60 € pour un salarié justifiant de 2 ans d’ancienneté. Tout le monde est alors considéré malgré la différence de traitement opérée par le CE.

Le message est de facto plus positif et respecte de notre point de vue, le but visé par les activités sociales du CE : rassembler les salariés et à tout le moins ne pas les diviser.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".