Le droit d’expression des salariés

Par Adrien KrasLe 3 mai 2017

Le droit d’expression des salariés permet d’introduire le principe démocratique dans l’entreprise. En tant qu’institution, cette dernière se doit en effet de refléter les valeurs de notre société.  Mais il s’agit également de prendre en compte la dimension humaine du salarié. Celui-ci ne doit en effet pas être considéré comme simple agent de production, mais comme un individu susceptible d’enrichir l’entreprise par sa critique et ses suggestions.

Questions

Pour autant, ce droit reste largement méconnu. Que recouvre-t-il ? Qui concerne-t-il ? Comment s’exerce-t-il ?

Le présent article vous propose de répondre à ces questions.

Droit d’expression des salariés : quèsaco ?

Le droit d’expression des salariés a été introduit dans le code du travail. Selon ce texte, les salariés disposent d’un droit d’expression direct et collectif portant sur le travail au sein de l’entreprise. Direct, car il s’exerce sans intermédiaire. Il doit donc être distingué du recours aux représentants du personnel chargés de représenter les salariés auprès de l’employeur (délégués du personnel, comité d’entreprise…). L’administration précise d’ailleurs que ce droit n’a pas vocation à remplacer l’action des représentants, mais à la compléter. Collectif, car il s’exerce en réunion et en qualité de membre d’une collectivité de travail et à l’occasion de réunions.

Attention : ne pas confondre droit d’expression et liberté d’expression des salariés !

La liberté d’expression s’exerce individuellement et concerne les opinions personnelles émises par le salarié sur le travail dans l’entreprise, mais aussi plus largement sur des sujets tels que la politique, la religion… L’extrait de jurisprudence suivant illustre bien cette distinction. Il s’agissait d’un cadre ayant communiqué aux membres du comité de direction, un document critiquant la nouvelle organisation mise en place dans l’entreprise. S’agissant d’une initiative individuelle, les juges ont pu décider qu’elle relevait de la liberté et non du droit d’expression du salarié (Cass. Soc.14 décembre 1999 n°97-41.995).

Étendue du droit d’expression des salariés

Le droit d’expression des salariés s’applique dans toutes les entreprises. Il s’étend également aux établissements publics à caractère industriel et commercial (ÉPIC) et administrations employant des salariés (article L2211-1 du code du travail). La législation du travail prévoit par ailleurs des dispositions spécifiques aux entreprises relevant du secteur public. Tous les salariés sont également concernés, sans distinction : CDD et CDI, temps complets et temps partiels… Les apprentis et les intérimaires bénéficient également de ce droit. S’agissant de son objet, le droit d’expression des salariés vise les conditions de travail, ainsi que son contenu et son organisation (article L2281-1 du code du travail).

La circulaire du 4 mars 1986 exclut les problématiques individuelles.

Elle met en revanche l’accent sur les projets de transformation et de changement dans l’entreprise : travaux, déménagements, nouvelles technologies… L’objectif est de déterminer les actions nécessaires à l’amélioration des conditions, de l’organisation et de la qualité du travail (article L2281-2 du code du travail). Les salariés sont ainsi invités à exprimer leurs avis, formuler des souhaits et présenter des observations personnelles sur le travail au sein de l’entreprise.

Mise en place du droit d’expression des salariés dans l’entreprise

La loi se contente de fixer un cadre, laissant à l’entreprise le soin de mettre en œuvre le droit d’expression des salariés via la négociation ou la consultation du comité d’entreprise (article L2323-15 du code du travail). Les syndicats étant les acteurs privilégiés de la négociation collective, la mise en place du droit d’expression au sein de l’entreprise diffère selon que l’entreprise est ou non dotée de délégués syndicaux. Dès lors que l’entreprise compte au moins un délégué syndical désigné par une organisation syndicale représentative, le droit d’expression est défini par un accord conclu avec l’employeur. Pour rappel, un syndicat est représentatif lorsqu’il a recueilli au moins 10% des voix exprimées au premier tour des dernières élections professionnelles dans l’entreprise ou l’établissement. La négociation peut se tenir au niveau de l’entreprise (accord d’entreprise) ou de ses établissements (accords d’établissement).

Attention : cette négociation au niveau des établissements n’est possible qu’à condition qu’aucun d’entre eux ne soit oublié (article L2281-10 du code du travail) !

L’article L2281-11 du code du travail définit le contenu de l’accord qui doit notamment déterminer les modalités des réunions permettant l’exercice du droit d’expression. La négociation aboutira soit à la conclusion d’un accord, soit à la signature d’un PV de désaccord. En tout état de cause, l’accord ou le PV devra être transmis à la DIRECCTE (article L2281-9 du code du travail). Les obligations de l’employeur ne s’arrêtent toutefois pas là. En l’absence d’accord, la direction aura par ailleurs l’obligation d’engager chaque année une nouvelle négociation jusqu’à ce qu’un accord soit conclu (article L2281-6 du code du travail). En présence d’un accord, l’employeur devra convier, tous les 3 ans, les organisations syndicales représentatives à une réunion de bilan. À cette occasion, une renégociation pourra être engagée à la demande des syndicats (article L2281-7 du code du travail).

À défaut pour la direction de respecter ces obligations, les syndicats représentatifs pourront l’y contraindre à l’issue du délai de 1 ou 3 ans.

La négociation devra alors être organisée dans un délai de 15 jours partant de la date de la demande (article L2281-8 du code du travail). En tout état de cause, l’entreprise n s’expose à amende de 3750 € et un an d’emprisonnement (article L2283-1 du code du travail). Le juge pourra condamner l’employeur, mais ne pourra lui-même imposer des mesures visant à compenser l’absence d’accord (Cass. Soc 10 octobre 1989 n°87-19.465). En l’absence de délégué syndical représentatif ou en cas d’échec des négociations, les représentants du personnel prennent le relais. L’employeur aura en effet l’obligation de consulter annuellement le comité d’entreprise ou, le cas échéant, les délégués du personnel sur l’exercice du droit d’expression des salariés. Le contenu de cette consultation est calqué sur celui de l’accord tel que susmentionné dans cet article (article L2281-12 du code du travail).

Il n’est pas nécessaire de provoquer une réunion extraordinaire du comité d’entreprise. La consultation du CE peut avoir lieu au cours d’une réunion périodique mensuelle ou bimestrielle.

Exercice du droit d’expression des salariés

Ce droit s’exerce dans le cadre de réunions organisées au niveau de chaque unité de travail. L’administration définit ainsi trois niveaux : bureau, atelier et équipe. Il n’est exclu pas que la réunion puisse se tenir au niveau de l’entreprise si celle-ci compte un effectif restreint. Enfin, encore faut-il s’assurer que la parole des salariés puisse être entendue par les décideurs et influenceurs dans l’entreprise. Ainsi, leurs avis, questions et suggestions doivent être transmis aux représentants du personnel ainsi qu’à la direction. Afin de garantir la présence des intéressés, les réunions se tiennent sur le lieu de travail, durant le temps de travail et sont rémunérées comme telles (article L2281-4 du code du travail). Elles ne sauraient en tout état de cause rassembler plus d’une quinzaine de personnes afin de permettre à chacun de s’exprimer efficacement.  

La circulaire fait également valoir que ces réunions ne peuvent être écourtées ou soumises à des contraintes horaires trop rigides. Il peut donc être utile de vous prévaloir de ce document si l’employeur se contente de tenir des réunions « pour la forme » (circulaire DRT n° 3 du 4 mars 1986).

Il est par ailleurs prévu que les cadres dotés de responsabilités hiérarchiques exercent leur droit dans des conditions spéciales (article L2281-11 du code du travail). Deux poids deux mesures ? Pas tout à fait. En effet, ces cadres interviennent en qualité de représentant de l’employeur lors des réunions de service. Ils ne sont alors pas en mesure de s’exprimer auprès de leur hiérarchie. Il est bien entendu possible qu’un salarié exprime une position qui fâche. La loi le protège heureusement en interdisant toute sanction disciplinaire ou licenciement prononcé en représailles (article L2281-3 du code du travail). Attention toutefois, tout droit a ses limites et le droit d’expression des salariés ne fait pas exception ! Tout abus est en effet susceptible d’être sanctionné : malveillance, diffamation… La Cour de cassation ne semble pas avoir eu souvent l’occasion de s’exprimer sur la notion d’abus du droit d’expression. On peut toutefois se référer par analogie à la jurisprudence sur l’abus de la liberté d’expression.

Jurisprudence

Les juges ont ainsi validé le licenciement d’un salarié qui, au cours d’un entretien avec son patron d’origine allemande, avait qualifié l’entreprise de « camp de concentration » ! Ces propos ont été qualifiés et d’abusifs, car injurieux et excessifs (Cass. Soc. 6 mars 2012 n°10-27.256).

Vous voilà prévenus !

Auteur de l'article: Adrien Kras

Titulaire d’un Master 2 en Droit et du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat, Adrien KRAS a prêté sa collaboration au sein de divers cabinets au service d’une clientèle de particuliers et d’entreprises de toutes tailles. Spécialisé en droit social, il exerce actuellement en qualité de juriste conseil au sein d’une organisation professionnelle.