Jusqu’où va la liberté d’expression ?

Par Mathilde SebastianLe 20 avril 2016

La liberté d’expression est un droit dont dispose tout un chacun. Cependant, attention à ce titre de ne pas se croire tout permis. Elle doit également être distinguée de la liberté de pensée. La liberté d’expression est une liberté fondamentale, très largement protégée. Elle trouve sa source dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cet article précise que tout le monde a le droit de faire part de ses pensées et de son opinion à condition de ne pas en abuser.

Il est donc possible de s’exprimer oralement, mais aussi en écrivant ou imprimant ce que l’on pense.  

Le principe de la liberté d’expression

Elle va de droit dans une société démocratique (CEDH, 7 déc. 1976, n°5493/72). En d’autres termes, elle va de pair dans les sociétés où existe une démocratie. L’étendue de celle-ci s’accroît si l’intérêt public est en cause. Elle permet aux individus de s’exprimer librement c’est-à-dire sans peur d’être condamné pour les propos tenus. Toute personne peut donc écrire, dire, filmer ou encore chanter ce qu’elle pense et en faire part au public ou à autrui. Généralement, on associe ce droit à la presse mais concerne aussi les particuliers. En effet, si vous exprimez votre opinion à votre voisin ou que vous accourez sur Facebook pour dire que « Cyril Hanouna a un rire de hyène » ou bien que (propos d’un autre niveau, j’en conviens) « dans certains pays d’Afrique, les femmes avortent en s’enfonçant dans le vagin du verre pilé, c’est honteux », la liberté d’expression trouve à s’appliquer. Toutes les idées relèvent de cette liberté ; même les photos de vos repas ou de votre chien, accompagnées de commentaires totalement inutiles (et ce, même si tout le monde s’en fiche…).

Outre ce droit de pouvoir faire librement connaître ses idées, cela implique également celui de recevoir les opinions des autres. S’exprimer c’est bien, mais encore faut-il respecter les autres et savoir que tout n’est pas bon à dire (ni même à penser d’ailleurs)

Quelles sont les limites de la liberté d’expression ?

Il va de soi que poster une photo sur internet d’un plat et d’ajouter en commentaire « ce resto est trop bon », ne porte atteinte à personne. Pour autant, ne croyez pas que la liberté d’expression est un droit absolu, elle comporte des limites. L’abus est même sanctionné. Il en va de la sorte en cas de diffamations à l’encontre d’une personne physique ou même morale, de fausses rumeurs, de provocations visant à commettre des crimes ou même des délits… Ce n’est pas tout, il en va de même pour les injures et les publications d’images sans consentement de la personne. La liberté des uns commence là où s’arrête celle des autres (et inversement).

Il ne faut pas porter préjudice à autrui avec des calomnies ou des atteintes à la personne.

L’incitation à la haine est également une limite (CEDH, 6 juill. 2006, n°59405/00). C’est justement à ce titre que les représentations de Dieudonné avaient été annulées (Cass. Crim. 16 octobre 2012, n°11-82.866). Nombreux étaient les juristes à critiquer ces décisions. Ces critiques étaient fondées sur le fait qu’il était condamné pour des propos qu’il n’avait pas encore tenus. Ce n’était donc pas par acquiescement à ses idées, mais simplement que le droit ne prévoit pas de sanctionner une personne qui risque de tenir de tels propos.

La Cour européenne des droits de l’homme s’est également positionnée sur cette affaire. Elle a conclu que certains passages ne relevaient pas de la liberté d’expression, mais qu’ils valorisaient le négationnisme (CEDH, 10 nov. 2015, n°25239/13). Rappelons que le négationnisme nie le génocide de la Seconde Guerre mondiale ayant causé la mort de milliers de juifs.

Il est donc possible de porter atteinte à ce droit à condition que la restriction soit proportionnée aux objectifs protégés dans une société démocratique, mais aussi que l’atteinte soit proportionnée (Conseil constitutionnel, 10 juin 2009, n°2009-580). Il en va de la sorte lorsqu’il s’agit de protéger l’ordre public (article 10§2 de la Convention européenne des droits de l’homme). C’est cette protection de l’ordre public qui a justifié la décision de l’affaire Dieudonné.

Mon conseil

Il faut donc faire attention à ses propos et ne pas partir dans l’extrême, la haine ou le mensonge.

Jusqu’où va la liberté d’expression de la presse ?

Comme nous l’avons vu récemment, s’exprimer librement ne plait pas à tout le monde. Les répercussions peuvent être dramatiques comme tel a été le cas le 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. En effet, tout peut être dit, mais encore faut-il avoir l’art et la manière de l’écrire. Rien ne peut justifier de telles atrocités, même pas des propos abjects.

La question de savoir jusqu’où va la liberté de la presse mérite donc d’être posée. L’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales vient reprendre ce droit à la liberté d’expression. Il précise par ailleurs que ce droit correspond également au fait de recevoir, mais aussi de communiquer des informations et des idées. Il vient donc instaurer un droit à la presse, lui permettant de publier ne serait-ce que des idées. En plus de ce droit d’information, il doit exister une pluralité de médias (article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). Concrètement, c’est bien que la presse puisse s’exprimer ; seulement, s’il n’existe qu’un seul média, il n’y aura pas réellement de liberté d’expression.

Plus largement encore, ce droit a vocation à s’appliquer même sur internet (Conseil constitutionnel, 10 juin 2009, n°2009-580).

Comment savoir si l’article de presse est allé trop loin ? Quand sera-t-il ou non condamné ? La Cour européenne des droits de l’Homme a pu sanctionner ce qu’elle qualifie de discours de haine c’est-à-dire incitant ses lectures à avoir un sentiment de haine à la lecture. Elle avait considéré que tel était le cas lors de la publication d’un dessin faisant l’apologie des tragiques attentats du 11 septembre. A contrario, elle avait retenu qu’il s’agissait de la liberté d’expression concernant des caricatures humoristiques de Mahomet du journal Charlie Hebdo.

Concilier la liberté d’expression avec d’autres libertés

Les limites apportées à la liberté d’expression sont dues au fait qu’elle doit être conciliée avec les autres libertés. Que se passe-t-il face à un duel entre la liberté d’expression et le droit au respect à la vie privée (article 8 de la convention européenne des droits de l’homme) ? Le respect à la vie privée primera s’il n’y a pas de débat d’intérêt général (CEDH, 24 juin 2004, n°59320/00). En d’autres termes, il faut jauger ce droit avec celui pour le public d’être informé. Dans l’affaire Von Hannover contre Allemagne précitée, il s’agissait de photographies prises à l’insu du prince et de la princesse Caroline de Monaco. La Cour européenne avait jugé que ces images ne relevaient pas d’un débat d’intérêt général et portaient atteinte à la réputation de ces derniers. Il convient de reconnaître généralement, que la presse People et certains magazines relèvent davantage du voyeurisme.

Au contraire, l’intérêt général primera s’il y a débat.

Tel a été le cas lors de la sortie du livre « Le Grand Secret » au sein duquel l’ancien médecin du Président François Mitterrand expliquait comment celui-ci avait affronté la maladie (CEDH, 18 mai 2004, req. n°58148/00).

Reconnaissons tout de même que ce débat est largement plus intéressant qu’une photo d’une princesse en petite culotte soit elle.

Auteur de l'article: Mathilde Sebastian

Juriste de droit privé, Mathilde aspire à la profession d’avocat et rédige en parallèle des articles juridiques en droit de la famille, matière qui lui est familière en raison de son cursus. Elle a acquis une certaine expérience auprès de plusieurs professionnels du droit (cabinet d’avocats, étude de mandataire-liquidateur et entreprise privée).