Conséquences pour les salariés d’une mise au placard

Par Isabelle Vidal-LeonLe 5 juin 2020

Tout le monde a déjà entendu parler de « mise au placard ». Beaucoup peuvent pourtant en ignorer les dégâts psychologiques. Ils sont dans certaines situations dévastateurs. Le salarié perd toute estime de lui-même, en confiance et en motivation. Il s’isole des autres. C’est le début de la désocialisation. Parfois, sans le vouloir, il devient persona non grata. La mise au placard est-elle une façon de faire pression sur un salarié ? Qu’est-ce que cela induit en définitive pour les salariés, l’employeur ?

Perte de repères, d’activité, faits de harcèlement moral, dépression… quelles sont les conséquences tant juridiques que psychosociales ?

Effets immédiats de la mise au placard d’un salarié

La mise au placard c’est une sanction disciplinaire qui n’en porte pas le nom. En réalité, cette fausse mesure entraîne pour le salarié, une relégation. Bien que le contrat de travail en soi n’évolue guère, ce sont bien les relations autour qui en modifient son application. La relation contractuelle prend une forme moins sincère et irresponsable. Le salarié doit répondre de consignes inhabituelles. Il se voit confier des tâches très subalternes, très en deçà de ses capacités, de son statut. Il est ostracisé au point qu’il n’est plus convié aux évènements importants. Ils sont nombreux les salariés qui vous disent à quel point, ils souffrent de cette ostracisation.

La mise au placard peut conduire au bore out

Votre chef ne vous donne plus de travail ? Ce qu’on vous demande de faire tranche radicalement avec les raisons de votre embauche ? Votre travail a perdu de son sens et cela vous affecte ? Ce constat se conjugue par ailleurs avec un manque de perspectives professionnelles. Vous êtes dans ces conditions, victime d’une mise au placard dont le bore out en serait la possible conséquence. C’est notamment en ces termes que la Cour d’appel de Paris, le 2 juin 2020 a condamné un employeur.

Comment la placardisation s’enclenche-t-elle ?

La placardisation repose souvent des rites discriminatoires. L’âge, un retour de longue maladie, un salarié quelque peu insoumis sont des ingrédients induisant une mise au placard. D’autres facteurs peuvent jouer. Par exemple, un salarié qui n’entre pas dans le rang et dont les résultats ne sont pas assez satisfaisants peut conduire à cet extrême. Mais cette mise au placard est insidieuse, car elle n’intervient que très progressivement. Il est question alors d’une dégradation observable sur la durée des conditions de travail.

Cela peut résulter d’un changement très clair de comportement du manager.

Mise au placard et harcèlement moral

Certains tentent de faire le lien avec les pratiques relevant du harcèlement moral. Il peut être difficile à opérer, mais les pratiques sont assez similaires à ce risque psychosocial. Il peut s’agir de brimades répétées, sans réelle justification, de propos vexatoires et humiliants. Dans tous les cas, le salarié doit dénoncer tout manquement de l’employeur surtout s’il s’apparente à des faits de harcèlement. Si le salarié considère en outre que sa santé est en péril, le recours au droit de retrait peut être une solution. Le salarié peut aussi alerter les représentants du personnel. Le Code du travail prévoit la présence d’élus du personnel (comité social et économique) à compter de 11 salariés. En tant que salarié protégé, un élu peut recourir au droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes.

C’est précisément le cas, lorsqu’un élu constate un non-respect des obligations légales de l’employeur.

Comment sortir de cette mise au placard ?

C’est une vraie question. Sans doute, faut-il s’armer tant de patience que de courage. Les employeurs qui agissent ainsi comptent sur le découragement, la résignation des salariés. Ils espèrent en secret que le salarié démissionnera. À défaut, qu’il optera pour une rupture conventionnelle. Au pire, peut-être à force d’épuisement psychologique, abandonnera-t-il son poste ? Les manquements de l’employeur pourraient ainsi passer inaperçus. Mais ces agissements antagoniques aux valeurs du droit du travail doivent au contraire être dénoncés.

Osez en parler autour de vous

Le pire dans une telle situation serait de vous replier sur vous, voire de vous marginaliser. À l’inverse, en faisant régulièrement état de votre situation à vos collègues, peut-être seront-ils en mesure de vous épauler ? On peut être agréablement surpris par l’esprit de solidarité dont font preuve certaines personnes. Il n’y a de honte à déplorer sa mise à l’écart au travail. Il n’y a aucune honte à éprouver face à une telle situation.

En parler avec un responsable RH

Parmi les acteurs importants de l’entreprise, le responsable des ressources humaines (RRH) peut se révéler utile. Ce professionnel assure le plus souvent le lien entre les managers et les salariés. Il peut entreprendre si vous lui concédiez, une médiation. Cette manière de jouer cartes sur table aboutit de temps à autre à de bons résultats. À défaut, il conviendra d’envisager une tout autre issue acceptable pour les parties. Ça peut s’apparenter à une négociation.

Saisir l’inspection du travail

Le salarié peut aussi s’en remettre à l’inspecteur du travail. L’idée dans ce cas est de démontrer les torts de l’employeur à votre égard. Le but étant d’obtenir de l’inspecteur qu’il le mette en demeure de cesser ces manigances. L’inspecteur peut ainsi intimer à l’employeur de redonner du travail au salarié en rapport avec ses compétences et son statut. De même, il peut lui enjoindre de s’expliquer sur les comportements non éthiques dont souffre le plaignant.

Se pourvoir en justice en dernier lieu

Aucune de vos autres échappatoires ne parvient à empêcher cette continuelle mise au placard ? Il est sans doute temps de vous en remettre à la justice. Il est question dans le cas présent de saisir le CPH (conseil de prud’hommes). Cela étant précisé, il conviendrait avant tout de vous faire épauler d’un conseil, avocat en droit du travail. L’objectif est de vous doter de toutes les chances de prouver vos allégations. Ce professionnel du droit est rompu au montage de dossiers de cette nature. Il tentera de prouver que votre employeur a sciemment orchestré votre mise à l’écart.

Quelle serait l’issue d’un procès ?

Le but d’une telle entreprise est d’obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail. L’avocat devra pour ce faire démontrer que tout vise à empêcher la poursuite ou l’exécution de bonne foi du contrat. Le salarié obtiendra le cas échéant des indemnités et des dommages et intérêts. Il en aurait été de même au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toute la difficulté pour mettre fin à ce type de litige réside dans la capacité de démontrer l’inexécution des obligations de l’employeur.

Qu’est-ce que l’application de bonne foi du contrat de travail ?

C’est un principe légal que rappelle l’article L1222-1 du Code du travail. Cela exige des parties une obligation de loyauté. Pour le salarié, elle s’exprime par le respect des consignes et des règles tout en assurant à l’employeur de ses compétences. Pour l’employeur, elle prend appui sur le fait de donner du travail en rapport avec le contrat. Ce dernier s’oblige également à préserver le salarié de tout ce qui peut altérer sa santé mentale en particulier. Il est question d’obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels. Pour des faits de mise au placard, l’entorse à ce principe ne fait plus aucun doute.

Cette déloyauté produit les effets d’une rupture du contrat de travail.

Auteur de l'article: Isabelle Vidal-Leon

Juriste en droit privé et droit social, Isabelle exerce en indépendante depuis quelques années le métier de conseil aux entreprises et de formatrice en droit social. Elle travaille également depuis quelques années comme consultante auprès des particuliers pour le traitement de litiges divers liés au travail.