Le casse-tête de la mobilité professionnelle

Par Fabrice AllegoetLe 21 mai 2015

Les contrats de travail contiennent très souvent des clauses de mobilité de toutes sortes (petits et grands déplacements, mobilité géographique, mobilité professionnelle, mobilité fonctionnelle …) qui exposent les salariés visés par ces dispositions à des bouleversements frappant leur vie privée. En effet, les salariés qui doivent régulièrement se déplacer tant pour des périodes courtes et sans devoir changer de résidence que pour des périodes longues avec obligation de résidence à l’hôtel, peuvent rencontrer des difficultés à conjuguer « vie professionnelle » et « vie familiale ». Toutes les clauses qui imposent la « mobilité du salarié » sont-elles toujours valables ? Pas nécessairement.

De nombreuses jurisprudences sont publiées chaque année pour nous le rappeler. Il convient alors d’analyser le contenu et la portée d’une telle clause pour s’en rendre compte. L’employeur est tenu de respecter des principes d’ordre public afin de ne pas causer des préjudices inutiles aux salariés.

Mobilité professionnelle et déplacements professionnels

Certains salariés, de par la nature de leurs activités, sont amenés à effectuer des déplacements plus ou moins réguliers afin de se rendre par exemple sur des chantiers. Leur contrat de travail peut dans ce cas prévoir une clause liée aux déplacements professionnels. Une telle disposition est licite dès lors qu’elle précise la zone géographique visée par ces déplacements. Elle doit prévoir par ailleurs les modalités d’application comme la durée et la fréquence des missions, ainsi que la prise en charge des frais afférents. Une telle clause se distingue d’une clause de mobilité traditionnelle (Cass. soc. 11 juillet 2012, n° 10-30219), de même qu’elle ne se confond pas avec celle qui fixe « le lieu de travail » du salarié (Cass. soc. 22 janvier 2003, n° 00-42637). Une clause de cette nature oblige le salarié à accepter tacitement les déplacements ou les missions ; à défaut, son refus constituerait un manquement à ses obligations professionnelles l’exposant à une sanction disciplinaire pouvant conduire à la rupture de son contrat de travail. Il faut donc être vigilant sur la portée d’une clause prévoyant des déplacements professionnels car elle n’est pas sans conséquences pour le salarié.

Notons que la durée importante du déplacement ne peut pas être un motif de refus pour le salarié notamment lorsque la nature de ses missions s’inscrit dans le cadre habituel de son activité (Cass. soc. 11 juillet 2012, n° 10-30219).

En 2014, la Cour de Cassation a de nouveau différencié la mobilité professionnelle inhérente aux fonctions d’un salarié de la mobilité géographique ; cette dernière contient des limites opposables à l’employeur (Cass. soc. 2 avril 2014, n° 12-19573).

Précisions que selon le type de déplacement, l’employeur doit assumer les frais professionnels qu’il s’agisse de frais courants pour les petits déplacements (frais kilométriques, parkings, péages…) ou de frais liés à des grands déplacements. Notons que le « grand déplacement » est définit légalement par la contrainte d’éloignement empêchant le salarié de regagner sa résidence (son foyer) à l’issue de sa journée de travail. Le salarié est contraint de résider à l’hôtel pour une durée déterminée. Outre les frais inhérents à ce déplacement, l’employeur peut être tenu de verser une prime d’éloignement (notamment pour les missions en outre-mer ou à l’étranger) ; de même que certaines conventions collectives prévoient une indemnité forfaitaire pour compenser la pénibilité d’une telle obligation.

Nature de la mobilité professionnelle et géographique

La mobilité professionnelle ou fonctionnelle n’implique pas toujours une mobilité dite « géographique ». En réalité, la première peut être liée à un simple changement opérationnel (mobilité interne) visant davantage le poste que son lieu d’exécution et répond soit à une affectation contrainte (reclassement, réorganisation, repositionnement, rétrogradation…) soit à une demande du salarié ; ce changement peut aussi résulter d’une promotion. La seconde implique un changement de lieu de résidence (mobilité externe) lié à un changement de poste de travail du salarié dans un autre lieu de travail (mutation).

La clause de mobilité géographique implique à l’avance, un accord contractuel entre l’employeur et le salarié qui précise le cadre et les conséquences possibles d’une telle modification du lieu de travail. Il est impératif que la rédaction de cette disposition soit claire, précise et fondée par la nature des activités du salarié. Il faut prévoir une « zone géographique » d’application (Cass. soc. 7 juin 2006, n° 04-45846) afin que le salarié puisse déterminer les différents lieux de travail d’une éventuelle mutation. Une application à tout le territoire français peut être valable si cela est justifié par le travail que doit accomplir ordinairement le salarié visé ; par exemple, dans une entreprise de transport ferroviaire de marchandises employant des « coordinateurs des opérations France », l’employeur peut affecter les salariés à ces postes « partout en France » (Cass. soc. 9 juillet 2014, no 13-11906).

Il convient pour l’application de cette mesure, de prévoir un délai de prévenance pour permettre au salarié de s’organiser. Prévenir le salarié 24 heures avant qu’il ne rende sur son nouveau lieu de travail, n’est pas acceptable (Cass. soc. 28 novembre 2012, n° 11-22645) ; de même, une mutation entraîne des perturbations non négligeables pour l’organisation familiale du salarié, lui accorder 7 jours pour rejoindre un nouveau lieu de travail, c’est proprement insuffisant (Cass. soc. 25 janvier 2011, n° 09-42307). L’employeur et le salarié peuvent s’entendre sur un délai de prévenance approprié de sorte à ce que la mutation se passe dans de bonnes conditions (en respectant celui imposé par la convention collective quand il existe).

Refus de mobilité professionnelle et sanctions

Le salarié qui peut démontrer que sa mutation est précipitée (délai de prévenance jugé trop court), ne devra pas être licencié à cause de son refus de rejoindre son nouveau lieu de travail ; il incombe à l’employeur de respecter un délai raisonnable (Cass. soc. 18 septembre 2002, n° 99-46136). La demande de modification du lieu de travail d’un salarié protégé (représentant du personnel) ne peut pas découler d’une décision unilatérale de l’employeur. En effet, l’employeur doit recueillir l’accord du salarié avant de mettre en œuvre une clause de mobilité professionnelle ou géographique même en présence d’une telle clause dans le contrat de travail dudit salarié (Cass. soc. 28 janvier 1988, n° 85-43400). Si des suites d’une mobilité, le salarié est exposé à une modification de sa durée de travail ou de sa rémunération, tout refus de sa part ne peut pas être analysé comme un motif de sanction (Cass. soc. 14 octobre 2008, n° 07-41454). Précisons que par défaut, toute clause de mobilité qui indiquerait que tout refus du salarié de l’appliquer, aboutirait à la rupture de son contrat de travail est réputée nulle (Cass. soc. 19 mai 2004, n° 02-43252).

Dans tous les cas, un salarié peut refuser l’application d’une clause de mobilité professionnelle​ qui porterait injustement atteinte et de façon disproportionnée à sa vie personnelle et familiale (Cass. soc. 13 janvier 2009, n° 06-45562). Il en va ainsi lorsque le salarié dénonce un agissement de mauvaise foi du côté de l’employeur ; charge au salarié d’apporter des preuves pour prouver cette mauvaise foi (Cass. soc. 23 février 2005, n° 03-42018).

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".