Prêt de main-d’œuvre entre entreprises

Par Olivia RougeotLe 17 juillet 2016

La vie économique d’une entreprise n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Il se peut en effet qu’elle soit parfois confrontée à une baisse provisoire d’activité. Le chômage partiel et/ou le licenciement économique des salariés (correspondant à la branche d’activité en baisse) peuvent apparaître comme les seuls dénouements.

À cette situation, le législateur a répondu par la mise en place du prêt de main-d’œuvre entre entreprises.

Utilité du prêt de main-d’œuvre entre entreprises

Ce procédé apparaît être bénéfique à toutes les entreprises, autant aux entreprises prêteuses de main-d’œuvre qu’aux entreprises utilisatrices. Pour l’entreprise prêteuse en effet, il peut être une solution provisoire et alternative évitant le licenciement économique ou le chômage partiel en cas de baisse d’activité. Et, pour l’entreprise utilisatrice ayant besoin de main-d’œuvre, il est une facilité de recrutement.

Ce procédé s’est ainsi souvent imposé entre entreprises du même groupe, tandis qu’il peut aussi être utilisé entre entreprises indépendantes, mais appartenant à une même branche d’activité.

Prêt de main-d’œuvre avec but lucratif et non lucratif

Avec ce procédé, l’entreprise dite prêteuse met à disposition une partie de son personnel auprès d’une entreprise dite utilisatrice pour une durée déterminée. Ce prêt de main-d’œuvre peut être à but lucratif ou à but non lucratif. L’opération lucrative de prêt peut être autorisée à une seule condition : elle ne doit pas avoir pour objet exclusif de prêter de la main-d’œuvre. L’article L8241-1 du Code du travail interdit strictement ce type d’opération. Autrement dit, l’opération ne doit pas être exclusivement réalisée pour en tirer profit (par la mise à disposition de personnel).

Prêt de main-d’œuvre à but lucratif

Afin d’analyser la validité de l’opération, le juge devra auditer concrètement la finalité du contrat, de ladite opération. La mise à disposition de salariés effectuant les mêmes tâches que les salariés de l’entreprise d’accueil, a pu ainsi être qualifié juridiquement d’illicite (Cass. Crim. 30 octobre 1995, n°94-84.807). Autrement dit, le savoir-faire du personnel mis à disposition doit être distinct de celui de l’entreprise utilisatrice (Cass. Crim. 3 mai 1994 n°93-83.104).Cette interdiction prônée par le code du travail s’explique par le fait que ce type d’opération est réservé à des cas particuliers, à savoir notamment aux entreprises de travail temporaire (intérim). Ainsi, si le prêt à but lucratif n’est pas le seul objet de l’opération et qu’il permet par exemple de contribuer à la réalisation d’une autre prestation (prestation de service par exemple), celui-ci pourra être valable, à condition que l’entreprise prêteuse y ait recours, car elle n’a pas elle-même les moyens d’accomplir seule la tâche voulue (Cass.soc.19 juin 2002 n°00-41.156).

L’opération est valable sous réserve de ne causer aucun préjudice au salarié ou de ne contrevenir aux dispositions sociales légales ou conventionnelles.

Prêt de main-d’œuvre à but non lucratif

L’article L8241-2 du Code du travail autorise sous certaines conditions le prêt de main-d’œuvre à but non lucratif. Ainsi, il apparaît possible de réaliser une opération ayant pour objet exclusif de prêter de la main-d’œuvre tant qu’elle n’est pas à but lucratif. Pour comprendre ce qu’est une opération de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif, il faut s’en référer à l’article L8241-1 du Code du travail qui en donne une définition. L’opération de prêt n’est pas à but lucratif lorsque l’entreprise prêteuse ne facture à l’entreprise utilisatrice que les salaires des salariés, les charges sociales correspondantes et les frais professionnels. Autorisant ledit prêt à but non lucratif, le législateur a pris le soin de lui fixer un cadre légal.

Cadre légal du prêt de main-d’œuvre à but non lucratif

Afin que l’opération soit valable, il est important de savoir que des conditions de validité sont exigées par l’article L8241-2 du Code du travail. Ce prêt requiert tout d’abord pour sa validité l’accord du salarié, sachant qu’il ne peut être sanctionné ou licencié s’il refuse la proposition. Il nécessite ensuite la conclusion d’une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice. Il requiert également un avenant au contrat de travail précisant les conditions du travail du salarié dans le cadre de sa mise à disposition. Une consultation du CE et du CHSCT doit enfin être effectuée préalablement à l’opération.

Malgré des conditions légales exigées, l’article L8241-2 du Code du travail ne prévoit pas pour autant de sanctions en cas de non-respect de ces formalités. Si celles-ci ne sont pas respectées, c’est donc sur la base d’autres articles que le salarié devra s’appuyer s’il veut ester en justice. Par exemple, le fait de ne pas avoir consulté les représentants du personnel peut être contesté sur la base du délit d’entrave (article L2328-1 du Code du travail pour les membres du comité d’entreprise, article L4742-1 du Code du travail pour les membres du CHSCT), contestation qui peut permettre d’aboutir à une amende minimale de 7500 €, ainsi possiblement, qu’à la suspension de la mise à disposition tant que la procédure de consultation ne sera pas correctement respectée.

Obligations des parties

Disons-le, le salarié travaillant pour l’entreprise utilisatrice, demeure salarié de l’entreprise prêteuse (de l’employeur prêteur, plus précisément) et ce, durant toute la période de l’opération (article L8241-2 du Code du travail). Un transfert de lien de subordination amènerait d’ailleurs à conclure à une opération illicite (Cass. Crim. 25 avril 1989 n°87-81.212). Ainsi, le contrat du salarié mis à disposition n’est ni rompu ni suspendu et il continue de bénéficier de la protection de son entreprise « d’appartenance » par l’application des dispositions conventionnelles ; de facto, le pouvoir disciplinaire appartient donc toujours à l’employeur de l’entreprise prêteuse.

L’employeur de l’entreprise utilisatrice quant à lui contrôle simplement le travail du salarié et lui donne des directives quant à sa réalisation.

Prêt de main-d’œuvre à but lucratif : cadre des sanctions

Conformément à l’article L8241-1 du Code du travail qui interdit l’opération lucrative ayant pour objet exclusif de prêter de la main-d’œuvre, son corollaire, l’article L8243-1 du Code du travail sanctionne pénalement une telle opération qualifiée de prêt illicite de main-d’œuvre.

Prêt illicite de main-d’œuvre

Le salarié ou les organisations syndicales représentatives (article L8233-1 du Code du travail) pourront alors agir en justice s’ils prouvent que l’infraction est constituée autrement dit que deux éléments sont réunis : le but lucratif et l’objet exclusif. Lorsque ces conditions sont présentes, ce même article L8243-1 du Code du travail prévoit que toute entreprise qui y aurait recours s’expose à un deux ans d’emprisonnement et à 30 000 d’amende.

Marchandage

À côté du prêt illicite, le législateur a pris le soin de prévoir l’incrimination de marchandage à l’article L8231-1 du Code du travail. Dans le cadre de ce délit sera sanctionnée toute entreprise réalisant une opération à but lucratif qui cause un préjudice au salarié ou contrevient aux dispositions sociales légales ou conventionnelles (accord ou convention collective). Pour ce délit, la peine encourue est de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (article L8234-1 du Code du travail). Il est à noter qu’il n’est pas exclu que ce délit puisse se rajouter à celui du prêt illicite de main-d’œuvre si l’opération lucrative, en plus d’avoir pour objet exclusif de prêter de la main-d’œuvre, cause un préjudice au salarié ou contrevient aux dispositions sociales.

Dans le cadre de ces deux infractions, le salarié pourra soit demander réparation devant la juridiction prud’homale soit devant la juridiction pénale en se constituant partie civile.

Auteur de l'article: Olivia Rougeot

Olivia est diplômée d'un master 2 pratiques pénales obtenu à l'université de Montpellier et titulaire du CRFPA. Actuellement, Olivia prépare un diplôme en droit de la santé pour diversifier son domaine de compétences. Elle intervient en parallèle en tant que rédactrice, une expertise acquise entre autre dans le cadre de ses multiples stages dont un au cœur d’un commissariat.