Utilité de la mise à pied conservatoire

Par Philippe Lesueur-PicotLe 27 avril 2015

Les salariés ne le savent pas toujours mais la mise à pied à titre conservatoire n’est pas une sanction disciplinaire mais une mesure d’attente dans le but de protéger les intérêts de l’entreprise et dans le cadre d’une procédure éventuelle de licenciement pour faute. Elle a tout de même un caractère anxiogène et vexatoire même si la mesure est légale en soi. Le salarié ne sait pas a priori ce qu’il se passe et les raisons qui conduisent l’employeur à l’exclure provisoirement de l’entreprise. Face à un risque de faute grave, l’employeur peut donc choisir de suspendre l’activité et le contrat de travail du salarié (article L1332-3 du code du travail) afin de mener par la suite, une investigation en vue d’éluder la problématique. Cette mesure n’est pas sans conséquences pour le salarié. En effet, au-delà d’être privé d’accès à l’entreprise, à ses dossiers, à ses collègues, il ne sera plus rémunéré durant toute la période de la mise à pied (Cass. soc. 27 septembre 2007, n° 06-43867).

Précisons que pour revêtir la spécificité « conservatoire », la mise à pied doit être préalable ou tout du moins concomitante à une quelconque procédure disciplinaire. Cette dernière doit ainsi, en principe, être engagée dans un très bref délai (Cass. soc. 1er juin 2004, n° 01-46956).

La durée de cette mise à pied est-elle limitée ?

Le démarrage de la mise à pied conservatoire prend effet immédiatement après que les faits ont été découverts et cela afin de laisser le temps nécessaire à l’employeur de choisir la sanction qu’il prononcera à l’encontre du salarié et, le cas échéant, pour ouvrir une enquête plus poussée (article L1332-3 du code du travail). Il n’y a pas de limite posée par la loi dans le cadre d’une telle mise à pied. Elle peut être à durée indéterminée. Toutefois, la durée doit être proportionnelle aux besoins de l’employeur pour mener son investigation et réfléchir à la sanction disciplinaire sinon d’engager au besoin, une procédure de licenciement. En effet, si l’employeur est dans l’incapacité de justifier la durée de la mise à pied, il peut être condamné. C’est ainsi qu’il a été jugé qu’un délai de six jours sans justification apparaissait excessif (Cass. soc. 30 octobre 2013, n° 12-22962) tandis qu’un délai de quatre jours incluant un week-end a été jugé acceptable, car justifié (Cass. soc. 28 octobre 2014, n° 13-21830).

Aussi, quel que soit la durée de la mise à pied conservatoire, ce qui compte, ce sont les motivations de l’employeur qui doit démontrer la légitimité d’une telle mesure ; elle sera nécessairement légitime si elle a été appliquée dans l’attente du prononcé d’une sanction (Cass. soc. 13 février 2008, n° 06-42969).

Serais-je fatalement licencier pour faute grave ?

L’employeur doit décider d’une sanction proportionnelle aux enjeux en considérant notamment la gravité de la faute commise par le salarié. Le licenciement n’est pas une réponse systématique sur le plan disciplinaire. À l’issue de son enquête et de sa période de réflexion, à la lumière des faits, l’employeur peut notifier au salarié une sanction mineure à un licenciement comme un avertissement ou un blâme (Cass. soc. 3 févr. 2010, n° 07-44491). Il conserve également la faculté de licencier le salarié pour une cause réelle et sérieuse (faute simple). Dans ce cas, en l’absence d’une qualification pour faute grave, la mise à pied précédant le licenciement, doit être rémunérée (Cass. soc. 3 février 2004, n° 01-45989).

Soulignons que pour ne pas aggraver sa situation, le salarié doit se conformer à la procédure de mise à pied à titre conservatoire. En effet, son inobservation s’ajoutera implicitement aux autres fautes qui lui sont déjà reprochés (Cass. soc. 5 février 2014, n° 12-19518).

Quelles sont les conséquences à l’issue de la mise à pied ?

Le salarié peut être licencié pour une faute dont la gravité sera définie par l’employeur. Le plus souvent, cette mesure présentant en soi un caractère assez solennel, l’employeur prononce comme sanction définitive, un licenciement pour faute grave.

Dans ce cas, ce dernier doit suivre la procédure de licenciement comme il est d’usage sur le plan légal. Le salarié perdra le bénéfice de l’indemnité qui est normalement due en cas de licenciement autre que pour faute grave (article L1234-9 du code du travail) ; rappelons comme cela a été précisé ci-haut, que la période de mise à pied qui précède un tel motif de licenciement ne sera pas rémunérée. La perte est donc conséquente pour le salarié (emploi, rémunération, indemnité).

L’employeur peut également comme évoqué ci-avant, s’en tenir à un licenciement pour faute simple. Dans ce cas, malgré la perte d’emploi, les conséquences sont bien moindres pour le salarié. En effet, il ne sera pas privé de sa rémunération pour la période de la mise à pied et il pourra compter sur des indemnités de licenciement. Précisons dans ce cas précis, qu’un licenciement pour cause réelle et sérieuse et non pour faute n’implique pas pour autant que la mise à pied à titre conservatoire est changée en mise à pied à titre disciplinaire (Cass. soc. 4 juillet 2007, n° 05-45293).

Une période de mise à pied conservatoire doit en tout état de cause être rémunérée lorsque l’employeur suspend cette mesure au cours de la procédure disciplinaire, même si le licenciement qui s’en est suivi est fondé sur une faute grave (Cass. soc. 9 juill. 2014, n° 13-18.177).

Auteur de l'article: Philippe Lesueur-Picot

Avant d’exercer en qualité de Responsable des Ressources Humaines, Philippe Lesueur a également fait ses armes en tant que Responsable Qualité Sécurité Environnement. Confronté très tôt aux problématiques des conditions de travail et des relations au travail, il a bâti des solutions afin de prévenir les risques professionnels.