Budgets du CE – abus à éviter

Par Fabrice AllegoetLe 1 juin 2015

Les budgets du CE et notamment celui dédié au fonctionnement du comité d’entreprise représentent une manne financière pour les sociétés commerciales qui délivrent des prestations n’entrant pas dans le champ des expertises juridiques et des organismes de formation. C’est principalement le budget de fonctionnement qui est visé car il est courant d’entendre les élus se demander comment l’utiliser ou comment réussir à tout dépenser ? Ainsi, certaines entreprises peu scrupuleuses trompent volontairement les CE en leur vendant des produits et services qui ne sont pas imputables sur le budget de fonctionnement.

Budgets du CE ; des principes à respecter

Le discours commercial est souvent bien rôdé et tend même à être crédible si nous n’y prenons pas garde. Certains comités d’entreprise sont parfois complices de ces fraudes tant leur but est de détourner en conscience les budgets du CE et principalement le budget de fonctionnement dont ils pensent à tort qu’il n’est pas d’une grande utilité. Évidemment, ces pratiques participent à enfler les polémiques autour de l’autonomie de gestion des comités d’entreprise et de l’intérêt de verser un budget de fonctionnement à cette instance.

Le CE doit se comporter avec probité et loyauté à l’égard de ses obligations financières et être très vigilant aux prédateurs de toutes sortes qui veulent s’attaquer au budget de fonctionnement et qui ne s’en cachent pas. La gestion des budgets du CE ne doit jamais être approximative ou déloyale !

L’ensemble de ces fournisseurs peut être réparti en trois grandes familles. Il y a les vendeurs : de cartes de réduction ; de cadeaux publicitaires et de solutions e-commerce.

Zoom sur les cartes de réduction et les remises sur Internet

Rappelons que le budget de fonctionnement qui fait partie des deux budgets du CE doit avoir comme unique finalité de couvrir les dépenses courantes liées à la gestion de l’institution du CE lui-même. Ces dépenses ne sont jamais en lien direct ou même indirect avec des prestations servies aux salariés de l’entreprise. Toutes les dépenses qui sont occasionnées pour la préparation, l’administration, la promotion et l’animation d’une activité sociale doivent être imputées sur le budget prévu à cet effet. Il est communément appelé « budget des activités sociales et culturelles » mais on le nomme également, « budget des œuvres sociales ».

Certains prestataires n’hésitent pas à détourner cette règle d’ordre public pour en faire un argument commercial trompeur. En effet, sous couvert de produire une prestation qui n’est pas dans sa forme immédiate, une activité sociale en tant que telle, ces fournisseurs prétextent que la souscription à leur offre est imputable sur le budget de fonctionnement. Ainsi, ils utilisent de façon éhontée, le droit pour le CE d’avoir recours à des experts libres (article L2325-41 du code du travail) afin de se justifier.


En réalité, ils omettent de préciser que ces experts agissent pour la préparation des « travaux » de l’instance, ce qui renvoie au rôle économique du CE et à son besoin d’accompagnement dans l’analyse de dossiers appelés à être débattus en réunion avec l’employeur. Cela n’a rien à voir avec un « abonnement » à un service proposant aux salariés, des cartes de réduction ou des remises en lien avec des loisirs, de la billetterie et des voyages.


Fort de ce constat accablant, il n’est plus rare de tomber sur des sites marchands, spécialisés dans ce domaine consacré aux cartes de réduction et aux remises sur Internet, incitant les CE à imputer un tel achat sur leur budget de fonctionnement à l’image de l’Association Loisirs Soleil qui précise ; « le montant de cette cotisation peut être prélevé sur le 0,2%… ». Même argument commercial pour la société du nom de BUTTERFLY SAS qui affiche de façon très visible, l’argument commercial suivant : « cotisation annuelle 100% déductible du budget de fonctionnement du CE ».

Le site BUTTERFLY SAS a changé et l’offre s’est adaptée.

Depuis novembre 2016, le CE payerait une cotisation annuelle de 1296 € pour profiter de divers services le visant, et en cadeau, la carte de réductions sera offerte. Sur le bon de commande, on remarque toujours la promotion faite quant à l’imputation de cette dépense sur le budget de fonctionnement. Petite nouveauté cependant ; le CE peut acheter des cartes supplémentaires pour ses salariés à 6 € l’unité. Selon le formulaire, le CE peut faire passer « soi-disant » cette dépense en guise d’opération de communication ; comprenez, on peut le passer sur le budget de fonctionnement (ou maigre consolation, au pire sur le budget des œuvres sociales !). S’il subsistait un doute quant à l’honnêteté de l’approche commerciale, là, il n’y en a plus.

Plus osé encore, des entreprises qui argumentent cette soi-disant imputabilité frontalement lors d’un rendez-vous commercial ou par le biais d’un courrier officiel.

Ainsi, la société SLG répondant du nom de la marque KALIDEA (ex CANAL CE) n’hésite pas à adresser à un client en 2014, un écrit sur la façon de dépenser de droit le budget de fonctionnement. Ce courrier pourrait être valable s’il ne participait pas à une certaine confusion. En effet, la société précise d’une part que l’ensemble de leurs prestations incluses dans l’abonnement KALIDEA CE répond aux conditions d’utilisation du budget de fonctionnement et d’autre part, que le financement des prestations de loisirs fait l’objet d’une facture imputable sur le budget des activités sociales et culturelles.

Pourtant, l’abonnement ne distingue pas réellement les prestations qui y sont incluses. Dans une précédente affaire impliquant cette société, le TGI de Paris soulevait qu’un contrat de même nature avait a été passé en violation du principe d’ordre public de séparation du budget de fonctionnement et du budget des œuvres sociales. Cette condamnation intervenue en juillet 2012 n’avait pas échappée au site d’informations Miroir Social.

Le mensonge commercial lié aux cadeaux publicitaires

Les entreprises qui vendent des objets (cadeaux) publicitaires démarchent de plus en plus activement les comités d’entreprise. Sous couvert de vendre un objet de « communication », ces entreprises affirment sans l’ombre d’un doute que ces objets publicitaires peuvent être financés par le budget de fonctionnement du CE. Certaines sociétés vont jusqu’à produire des « extraits de textes » d’un éditeur connu du monde juridique « Éditons Tissot » ou à afficher un article paru dans un magazine spécialisé (SOCIAL-CE de décembre 2010) pour accréditer de leur bonne foi. Il est évident que ces marchands ne recherchent pas dans la vente de ces produits à construire et à favoriser la communication du CE.

En effet, que veut dire « communiquer » sinon qu’il s’agit de « transmettre un message » à un tiers afin d’entrer en relation avec ce dernier ; le sujet de communication permet de créer un lien entre l’émetteur (le comité d’entreprise) et le récepteur (les salariés) afin de promouvoir une idée, un contenu ludique et utile, une conviction, une motivation en lien avec les prérogatives sociales et économiques du communiquant qu’est le CE.

À la lumière de cette définition relayée et précisée en substance par le Dictionnaire Larousse, peut-on honnêtement traduire l’art de la communication comme étant le fait de donner aux salariés « un mug, un stylo, un sac de voyage et autres produits du genre » sous prétexte que le CE y ferait apposer son logo et éventuellement ses coordonnées ? Il va de soi que cela n’est pas légalement acceptable.

Précisons que ces produits ont davantage une vocation marketing ; très utilisés dans les entreprises, ils ont pour mission première d’imprimer dans l’esprit du client, la marque commerciale de la société à l’origine du cadeau. Offert sans conditions, ce marqueur ou témoin d’une relation commerciale a une utilité purement publicitaire.

Les CE doivent-ils démarcher les salariés pour s’assurer de leur adhésion à l’institution ? À priori cela ne semble pas utile car les salariés sont affiliés à un seul CE ; celui de l’entreprise qui les emploie. Autrement dit, faire de la publicité, tient davantage dans ce cas précis, du luxe ou d’un besoin d’image à redorer, mais certainement pas d’un désir de réellement communiquer tant aucun message clé n’accompagne l’objet concerné. Les cadeaux offerts dans cette perspective relèvent de l’avantage en nature et peuvent être soumis sous certaines conditions aux cotisations sociales (URSSAF) ; ils ne peuvent donc pas être financés par le budget de fonctionnement.

Aussi, les prétendues justifications relayées par des entreprises peu regardantes sur le respect de la loi, sont de pures supercheries ayant pour objectif de tromper l’acheteur au risque de l’exposer à des sanctions pénales. Nous avons relevé différents cas.

La société CALLI CARTES SARL qui dispose aussi d’un site marchand en ligne vend via sa marque « LE CADEAU CE » des objets publicitaires et il ne fait aucun doute que l’argument commercial portant sur l’imputabilité de ces achats sur le budget de fonctionnement est sciemment mis en avant ; il est présent sur l’ensemble des pages commerciales de leur site internet.

Dans la même fibre, la société CALLICADO By Alizé Communication a mis en avant un article paru dans SOCIAL-CE de décembre 2010 pour s’affranchir de faire imputer leurs objets publicitaires sur le budget de fonctionnement ; pas de doute là aussi sur les intentions affichées. En effet, de tout l’article, le seul passage où la police est en gras et de couleur rouge, c’est celui qui adoube le CE du droit « d’offrir un cadeau sous la forme d’un objet de communication avec le nom du CE ».

Autres exemples de cet acabit, les sociétés HAPPY AISNE COM SARL via sa marque « Le Pouvoir des Objets » et MEDIADEME SARL affichent sur leur site en ligne des informations portant sur le droit d’utiliser son budget de fonctionnement afin de satisfaire à des achats d’objets publicitaires.

Et sans doute que beaucoup d’autres entreprises sous différentes appellations s’emploient à vendre ces prestations aux CE car le filon est très juteux et les acheteurs finalement pas toujours difficiles à convaincre tant il devient difficile de détenir la bonne information.

La confusion volontaire de certaines agences Web

La visibilité des comités d’entreprise passe de nos jours également par le web. Un CE peut disposer d’un site Internet appelé « vitrine » pour présenter l’institution, ses membres, son rôle, ses missions et prérogatives économiques et sociales, ses obligations notamment budgétaires, ses ambitions et toutes autres informations lui permettant de communiquer des informations utiles aux salariés. Dès lors qu’un tel support numérique se borne à cette faculté de communication, il va de soi que ce site peut être intégralement financé par le biais du budget de fonctionnement.

On ne peut pas considérer qu’il profite aux salariés au-delà des informations sur le CE lui-même et/ou qu’il procure un bénéfice quelconque à ces derniers. Ainsi, il s’agit dans ce cas présent, d’un réel support de communication en ligne.

C’est très certainement par cette porte d’entrée que certaines entreprises spécialisées dans le Web des comités d’entreprise se sont engouffrées.

En effet, le géant du secteur dénommé PROWEBCE SA (et pour ne citer que celui-ci) proposent des sites qui sont utilisés tant pour faire connaître le CE auprès des salariés que pour permettre à ces salariés de disposer d’un véritable espace e-commerce leur offrant la possibilité d’acheter par exemple en ligne de la billetterie et de bénéficier au moment de passer la commande d’une subvention sociale prévue par le CE.

On constate alors que sont confondus en une seule interface Web, le site Internet servant à la communication du CE et le portail e-commerce répondant à deux fonctions ; l’une est de faire profiter de remises, de réductions aux salariés dans tous les domaines du loisir à l’image des « cartes de réduction » visées ci-avant. L’autre est de procurer au CE, les facilités d’un site e-commerce pour rendre les salariés autonomes dans leurs achats en ligne tandis qu’ils profitent de la subvention du CE au moment de leurs achats.

Là aussi, le constat est sans appel. Les comités sont souvent encouragés à financer l’ensemble de cette prestation avec leur budget de fonctionnement alors même que ces produits répondent à plusieurs objectifs et finalités. La bonne démarche serait de ventiler le coût de ce produit proportionnellement à son réel usage. Ainsi, la fonction de e-commerce du site serait financée par le budget destiné aux œuvres sociales étant donné qu’il s’agit bien d’une prestation entant dans le champ des activités sociales (article R2323-20 du code du travail).

ce_responsabiliteLe CE doit être particulièrement vigilant lorsqu’il est encouragé à abuser de l’usage qu’il peut faire du budget de fonctionnement de façon à s’éviter toutes poursuites pénales pour entrave et abus de confiance. Soulignons qu’un argument commercial doit être utilisé pour vanter les mérites du produit mis en avant par le prestataire et non pour en assurer une légitimité quant à son financement.

Aussi, l’argument lié à l’imputation sur le budget de fonctionnement, lorsqu’il est mis en avant pour encourager et faciliter la transaction, doit éveiller les soupçons du comité d’entreprise et l’inviter à vérifier la valeur juridique d’un tel discours commercial auprès d’un conseil

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Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".