L’anonymisation de la réclamation DP

Par Fabrice AllegoetLe 26 avril 2015

La réclamation DP doit respecter des fondamentaux légaux. Les délégués du personnel lorsqu’ils sont saisis par les salariés, ont une fâcheuse tendance à accepter leurs conditions sans broncher. Parmi celles-ci, on retrouve la volonté non-équivoque du salarié de demander l’anonymisation de sa réclamation portée à la connaissance de l’employeur. Le délégué du personnel placé alors dans une situation pour le moins inconfortable, ne tente pas toujours d’en dissuader le demandeur. Et pour cause, la plupart des délégués du personnel pense à tort, rendre un immense service au salarié. Certainement, ces DP pensent-il ainsi le protéger.

Il est sans nul doute important de rappeler que des dispositions légales existent afin de protéger les salariés de sanctions disciplinaires pour avoir simplement rapporté des faits graves dont ils auraient été directement ou indirectement témoins.

En effet, aucun salarié ne peut être sanctionné pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions (article L1132-3-3 du code du travail). La loi précise également qu’un salarié ne peut pas être sanctionné ou licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions (article L1161-1 du code du travail). De même que dénoncer un fait de harcèlement moral par exemple, ne peut exposer le salarié agissant comme témoin à une sanction pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés (article L1152-2 du code du travail). Soulignons également que dans le cadre de son droit d’expression, tout salarié qui émet une opinion sur ses conditions de travail par exemple, ne peut pas davantage être sanctionné (article L2281-3 du code du travail).

Ces règles sont là pour nous rappeler que la sanction d’un salarié doit être strictement justifiée. Le code du travail protège ainsi les salariés de toutes les formes de discrimination même s’il faut l’avouer, certains employeurs n’ont que faire de l’application de ces règles. Toutefois, si ces derniers les bafouent, les salariés peuvent user de recours auprès des autorités compétentes. Le fait que l’employeur puisse se comporter de cette façon a conduit naturellement les salariés à avancer dans l’ombre.

Moins le contexte est précis, plus le plan d’actions sera flou

Peut-on porter une réclamation DP au nom de « personne » ? Techniquement, que sous-tend « réclamation DP » au regard de la loi ? Porter à la connaissance de l’employeur, une réclamation DP, c’est dénoncer un possible préjudice né par exemple d’une discrimination à l’égard d’un salarié. L’objectif de cette dénonciation (réclamation DP) est bien de faire reconnaître la méprise afin d’en assurer la réparation. Cette dernière prend la forme d’une action menée par l’employeur pour faire cesser les dommages causés par cette discrimination. Il peut en résulter également une compensation parfois financière.

Dans tous les cas, la réponse de l’employeur devra être appropriée à la situation dont il a eu connaissance et surtout proportionnelle aux enjeux. Tout cela implique pour l’employeur de disposer d’informations concrètes et précises quant aux faits qui lui sont rapportés afin de se forger une opinion sincère du contexte et ainsi prendre en conscience, la décision qui s’impose.

Parmi les informations nécessaires à la résolution de la réclamation, le nom du salarié sera inévitable ainsi que la nature et le contexte des faits reprochés (dates, lieux, causes, conséquences, autres personnes concernées, répétitions…). Anonymiser la réclamation à ce stade, c’est prendre le risque de soustraire à la connaissance de l’employeur des informations essentielles l’empêchant d’apporter une solution appropriée c’est-à-dire propre à la personne concernée. Autrement dit, moins le contexte et la nature des faits sont précis, plus le plan d’actions et la réponse de l’employeur seront flous.

Face à une demande d’anonymisation de la réclamation DP

Les délégués du personnel doivent présenter à l’employeur toutes les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application du code du travail et des autres dispositions légales concernant la protection sociale, la santé et la sécurité, ainsi que des conventions et accords applicables dans l'entreprise (article L2313-1 du code du travail). Ils participent ainsi à la lutte contre toutes les formes de discrimination. Ils sont de véritables porte-parole des salariés.

Soulignons également que les salariés peuvent eux-mêmes présenter directement à l’employeur leurs réclamations ; c’est bien démonstratif là encore que l’anonymisation n’est pas clairement un principe posé par la loi (article L2313-10 du code du travail).

Face à une demande d’un salarié de porter sa demande sans qu’il ne soit cité comme en étant l’auteur, le délégué du personnel devrait s’intéresser à la motivation qui se cache derrière une telle attente. En effet, le DP peut découvrir chez le salarié une peur de représailles par exemple ou se rendre compte que la personne fait déjà l’objet de brimades, de persécutions. Il conviendra alors d’expliquer au salarié que « porter sa parole » ne servira pas ses intérêts si l’employeur ignore tout du contexte l'impliquant. Tout au plus, après avoir pris soin d’ôter toute information substantielle pouvant relier l’auteur de la réclamation aux faits exposés, le DP exposera de facto une simple observation à l’employeur. La réponse de l’employeur sera donc moins propice à la résolution du litige et sera davantage inconsistante.

Si le salarié redoute la réaction de l’employeur s’il lui exposait directement ou par l’intermédiaire d’un délégué du personnel, des faits dont il est victime, alors la seule solution qui se propose à lui c’est de résoudre ce dilemme ou de saisir une autorité supérieure comme l’Inspection du Travail.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".